Césarienne : la naissance d’une mère

On parle souvent de l’accouchement comme d’un moment idéal, rêvé, presque scénarisé à l’avance. Mais certaines naissances ne suivent pas le scénario attendu. Certaines se vivent autrement.

Aujourd’hui, j’ai envie de parler de ce choix que l’on nomme peu. Celui qui n’est ni une fuite, ni un échec, mais une décision ancrée dans l’amour, la lucidité… et une immense force.

Ce texte est un récit. Le mien. Celui d’une césarienne programmée, mais chargée de mille émotions. Un accouchement hors cadre. Un vrai bouleversement. Parce que chaque naissance mérite d’être racontée — surtout quand elle ne ressemble pas à celle qu’on avait imaginée.

Trigger warning : Ce texte aborde des thèmes liés à la grossesse à risque et à l'accouchement par césarienne programmée. Certaines descriptions peuvent raviver des souvenirs sensibles pour les personnes ayant traversé une grossesse difficile.

Une grossesse sous tension

Avant même d’imaginer l’accouchement, c’est la peur de perdre ce bébé qui m’a habitée. J’avais si peur de la fausse couche. Une peur presque irrationnelle, mais nourrie par tous les témoignages, les vidéos sur les réseaux sociaux, les podcasts et les articles que je lisais en boucle.

Chaque passage aux toilettes était une épreuve. Je retenais ma respiration en baissant les yeux vers ma culotte. J’avais peur. Peur que tout s’arrête. Peur de ne pas m’en remettre. J’avais l’impression de marcher sur un fil, jour après jour, sans jamais pouvoir vraiment souffler.

Cette angoisse s’est ensuite transformée en une autre peur : celle de l’accouchement. Plus les mois passaient, plus je me sentais submergée par l’idée de ce qui allait arriver. À nouveau, j’ai écoulé des heures à lire, à regarder, à m’informer… croyant me rassurer, mais ne faisant que creuser plus profondément mon stress. Chaque récit dramatique me collait à la peau. Chaque histoire de déchirure, de souffrance, de violence obstétricale devenait une menace possible.

Et il y avait aussi cette histoire de désamour avec mon corps. Mon passé. Longtemps, j’ai lutté contre des troubles alimentaires. Mon rapport à mon corps a été complexe, conflictuel, parfois violent. Je ne lui ai jamais vraiment fait confiance. Je l’ai maltraité, ignoré, jugé. Alors, en pensant à l’accouchement, cette peur revenait : et si mon corps se bloquait ? Et s’il n’était pas capable ? Et si, à cause de moi, de ce manque de confiance, je mettais mon bébé en danger ?

Cette idée me hantait. Plus que la douleur. Plus que les complications. J’avais peur de ne pas pouvoir protéger mon enfant. C’est cette peur-là, profonde, viscérale, qui m’a poussée à consulter. Et c’est en posant des mots sur tout cela que j’ai commencé à envisager une césarienne.

Le choix de la césarienne

J’ai fini par voir une psychologue, parce que je n’avais plus de répit. Parce que je voulais donner naissance, mais que j’avais peur de le faire. Et c’est en écoutant mes angoisses, en les accueillant, que j’ai fait ce choix : celui d’accoucher par césarienne. Un choix mûrement réfléchi, et pourtant entouré de tant de honte.

On parle souvent de "césarienne de confort", comme si ce chemin de naissance était plus simple ou moins éprouvant. Pourtant, derrière ce terme se cache une réalité bien différente : celle d'une naissance par une intervention chirurgicale délicate.

Le jugement, lui, était bien réel. Certains regards. Certaines phrases. "Ah, vous n’avez pas voulu tenter un accouchement plus naturel ?" Comme si j’avais abandonné avant même d’essayer. Comme si j’avais choisi la facilité. Mais personne ne voyait le tumulte à l’intérieur.

J’ai choisi la césarienne parce que c’était ma façon à moi de reprendre le contrôle. Parce que j’avais besoin de baliser cette naissance, de la rendre moins effrayante, de poser un cadre sur ce qui me paraissait être un gouffre.

 

La rencontre

Je suis arrivée à la clinique le matin. J’avais rendez-vous à 10h. Tout semblait calme, presque routinier — mais à l’intérieur, c’était un tourbillon. J’étais tendue, stressée, un peu ailleurs. C’est une sensation étrange que de se dire qu’on va accoucher dans quelques heures, sans surprise, sans urgence, mais avec cette part d’inconnu qui reste immense.

Tout le monde a été bienveillant. L’accueil, les soins, les préparatifs — j’ai été très bien entourée. Et pourtant, au moment d’entrer dans le bloc, l’émotion est montée. J’étais secouée. C’est un espace impressionnant, froid, organisé. J’entendais les bruits des instruments, les voix autour de moi, les gestes sûrs des soignants qui s’installaient. On a posé le champ pour m’éviter de voir ce qu’il se passait. Mais on sent quand même. Le corps sait.

Je n’arrivais pas à redescendre. Et puis, un soignant m’a simplement parlé. Il était là depuis le début, comme les autres, mais il a su trouver les mots. Il m’a regardée, m’a prise au sérieux, m’a offert un point d’ancrage. Ce n’était pas grand-chose, mais à ce moment-là, c’était énorme. Ça m’a apaisée.

Dans mes écouteurs, il y avait Nujabes, cette playlist que j’avais choisie pour m’accompagner. Et au loin, une petite fenêtre carrée découpait un morceau du monde — derrière elle, le visage de mon mari. Son regard, ses yeux remplis d’émotion, étaient accrochés aux miens. Le voir là, dans ce minuscule carré, m’a bouleversée. Je me suis raccrochée à lui, à ce regard qui me disait tout sans un mot : que j’étais forte, que j’allais y arriver, que notre fils était en train de naître.

Et puis, tout s’est enchaîné. Les gestes autour de moi sont devenus rapides, précis, coordonnés.

On ne sent pas la douleur, mais on sent. Le tiraillement, les mouvements internes, le souffle qui se suspend. Je me souviens de la chaleur dans mon ventre, de cette odeur si particulière. Et puis, soudain, une pression plus forte. Et le cri.

Je l’ai entendu avant de le voir. Mon bébé. Mon fils. Il était là. Il avait franchi ce seuil que je redoutais tant. Et surtout, il allait bien.

Quand il est né, je n’ai pas réussi à pleurer. C’était trop immense, trop rapide. On me l’a posé contre moi pour quelques minutes de peau à peau. Je me souviens encore de ce moment par cœur, et pourtant, je me sentais partir. C’était le moment pour le papa de rencontrer son fils, pendant que j’allais en salle de réveil. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait, et puis je me rappelle lutter contre la fatigue, pour remonter plus vite, pour pouvoir allaiter, pour pouvoir juste être près de lui. Ce moment m’a paru une éternité. Comme un prolongement injuste de l’attente.

Mais quand enfin je l’ai eu contre moi, tout s’est figé. J’ai respiré son odeur. Sa peau douce. Sa tête contre ma poitrine. Et j’ai su que j’avais fait ce qu’il fallait. On ne s’est plus jamais quittés, collés l’un à l’autre, nuit et jour.

La cicatrice : cette ligne sur la peau

Très vite, j’ai apprivoisé cette cicatrice. Ce trait fin, horizontal. Cette nouvelle trace. J’ai toujours pris ce temps précieux pour la masser avec Mega Oil – avant même de savoir que je rejoindrais cette belle aventure 2 ans plus tard. Je comprenais qu’elle était un passage. Une preuve. Un pont entre mon corps d’avant et celui d’après. Elle me raconte une histoire que, jusqu’à maintenant, j’étais la seule à connaître dans sa totalité.

Et pourtant, je ne me suis jamais vraiment plainte de cette cicatrice. Ce n’est pas qu’elle ait été très douloureuse : je marchais dès le lendemain, j’ai rapidement retrouvé mon corps d’avant, et l’allaitement avec mon fils m’a procuré une telle force que le reste semblait secondaire. Mais parfois, je me demande si je n’ai pas enfoui la douleur. Si je ne l’ai pas minimisée. Comme si je n’avais pas assez souffert pour en parler.

Je n’ai pas connu les contractions. Je ne sais pas, et je ne saurai peut-être jamais, ce que cela fait d’attendre pendant des heures, de pousser, de traverser cette tempête physique et viscérale qu’est l’accouchement par voie basse. Alors j’ai gardé le silence. Avec cette gêne tenace. Comme si mon corps n’avait pas accompli tout à fait l’exploit. Comme s’il fallait prouver davantage pour légitimer la douleur.

Ce que j’aurais aimé entendre

J’aurais aimé qu’on me dise que la peur n’est pas une faiblesse. Qu’elle mérite d’être écoutée, comprise, accueillie — et jamais minimisée.

J’aurais aimé qu’on me rappelle que la césarienne, même choisie, même programmée, est un accouchement à part entière. Un acte immense, intense, qui demande du courage et de la confiance.

Qu’on peut demander un peau-à-peau en salle de réveil. Qu’il est possible — et essentiel — de penser à cette première rencontre, même en dehors des scénarios classiques.

J’aurais aimé qu’on me prépare mieux au post-partum. À la lenteur du corps, à la montée des émotions, à la nécessité de ne pas tout porter seule. Parce qu’on a besoin d’aide. De temps. De mots. De douceur.

J’aurais aimé savoir que la douleur physique peut cacher d’autres blessures, plus invisibles, plus profondes. Et que ces blessures aussi méritent d’être soignées.

Et c’est sûr que j’aurais aimé savoir que mon fils serait en bonne santé. Que ce choix — qui n’en était pas vraiment un — ferait tout de même de moi la meilleure mère possible pour mon Jil.

Que par-dessus tout, je parviendrais, pour lui, à mettre de côté mes troubles alimentaires. Que je reprendrais peu à peu confiance en mon corps. Et que je finirais par l’aimer, ce corps, pour ce qu’il a fait. Pour ce qu’il m’a permis de porter, de donner, de rencontrer.

L’après

C’est étrange à dire, mais aujourd’hui, je crois que je pourrais envisager une autre naissance. Une naissance par voie basse, peut-être. Parce que devenir mère m’a appris à quel point j’étais puissante. À quel point mon corps, malgré tout, sait. Et peut faire des merveilles.

Peut-être êtes-vous à ce carrefour, là où se croisent la peur et le désir, la vulnérabilité et la force. Peut-être envisagez-vous une césarienne, ou peut-être que la vôtre est déjà derrière vous — et que vous portez encore ses échos, ses cicatrices, visibles ou non.

Ce texte n’apporte pas de réponses toutes faites. Il est un espace pour déposer ce qui déborde, pour honorer ce que vous avez vécu ou ce que vous vous apprêtez à vivre. Il y a mille façons de donner la vie. Mille manières d’aimer. Mille chemins pour devenir mère.

Vous n’avez rien à prouver. Vous n’êtes pas moins forte, pas moins mère, pas moins aimante si vous choisissez un accouchement différent. Votre naissance à vous sera unique, et elle portera votre courage, même s’il est silencieux.

Et si un jour vous choisissez la césarienne, sachez que vous avez le droit d’être fière. Immensément fière.

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