L'attente par Amélie
Crédits photo : photographie par Denis Boulze pour Milk Magazine
Je m’appelle Amélie Pichard, je me présente comme créatrice mais pas uniquement créatrice de sacs et de chaussures. Depuis maintenant quelques années, j’ai commencé à m’ouvrir à pas mal de choses. Aujourd’hui, mon travail de créatrice n’est pas de faire des jolies choses pour faire des jolies choses, il est de trouver des artisans et des formes d’artisanat qui existent encore et de créer à partir de ça. La mode a tendance à se faire à l’inverse, c'est-à-dire d'avoir une envie et ensuite de trouver quelqu’un qui puisse réaliser cette envie. Moi, je veux d'abord trouver le savoir-faire et ensuite une idée, qu’elle soit dans des savoir-faire ancestraux comme dans des innovations. Mon but est de faire le pont entre tradition et innovation. Ce processus peut m’amener à travailler toutes sortes d'objets autres que les sacs et chaussures, que je travaille de manière assez traditionnelle en règle générale. Je pense à des objets pour la maison ou des savons par exemple quand j’ai emménagé à la campagne… Partout où je vais, j’essaye de trouver des artisans et d’aller à leur rencontre.
Le choix du digital pour une consommation responsable
Tout ce que je produis n’est pas édité en quantité. Généralement, on ne sort qu’un seul sac par couleur et une fois qu’il est vendu, on travaille en système de précommande pour ne pas générer de stock. Pour les produits de consommation en revanche, ça ne me dérange pas d’avoir un peu plus de quantités.
J’ai toujours été plutôt digitale même si je travaillais essentiellement avec des revendeurs au début de la marque. En 2017, j’ai arrêté de travailler avec des revendeurs pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’ils font une marge mais aussi parce que ça générait beaucoup de stress pour moi car j’étais coincée entre l’usine qui livrait toujours en retard et le revendeur qui était toujours pressé de recevoir sa marchandise. De plus, les revendeurs avaient toujours envie de nouveautés et soldaient mes produits au bout de 2 semaines. Ce modèle n'avait plus de sens pour moi.
À ce moment-là, les clientes avaient envie de voir les produits en vrai. Quand on lance une marque, c’est important. J’avais un peu ce fantasme de devenir la commerçante du quartier, que les gens aiment passer voir. Je ne voulais pas ouvrir une boutique commerciale.
J’ai ouvert ma boutique dans ma rue, une rue peu fréquentée la journée mais très fréquentée le soir. J’avais envie de me retrouver toute seule comme un ovni dans cette rue et qu’on vienne jusqu’à moi. La journée, c’est très agréable, c’est un peu la campagne avec les pavés. La boutique s’appelait “Chez Pichard”.
Cette boutique a duré 4 ans (en comptant le covid qui a beaucoup bousculé les choses). On a d’abord commencé avec des vendeurs, puis l’équipe a fini par s’en occuper. Petit à petit, on est devenu une boutique où il fallait nous appeler pour qu’on puisse ouvrir aux clientes. De plus, elles ne comprenaient pas forcément que la boutique ne soit ouverte que 3 jours par semaine. Il y a un peu une sorte de “devoir” d’être comme une boutique traditionnelle, ce qui m’agaçait un peu car je n’aime pas faire les choses de manière traditionnelle.
Et il y a ce changement de vie qui me trottait dans la tête. Cela faisait des années que je disais que je voulais vivre essentiellement à la campagne. Ne pas simplement avoir une maison de campagne, je voulais que Paris devienne ma maison de week-end et non l’inverse. Tout le monde me disait que c’était impossible, « tu es cheffe d’entreprise, comment tu vas faire pour tes employés ? ». Il y avait aussi cette culpabilité que je n’avais pas envie d’être le genre de patronne à partir où elle veut, quand elle veut, tout le temps, vivre où elle veut pendant que ses employés sont coincés à Paris pour travailler de 9h à 19h.
À ce moment-là, on me disait que mon rêve était impossible. Moi, je commençais malgré tout à faire mes recherches de maisons, qui ont mis 5 ans. On cherchait mais avec une réelle appréhension sur la consommation et l’énergie de cette maison. C’était dur. On cherchait dans le Perche et là-bas, il n’y a que des maisons en pierre, catastrophiques énergétiquement.
Pendant ce temps, il y a eu le covid et les mentalités ont beaucoup changé. Je voyais par exemple les gens aux Etats-Unis qui pouvaient travailler dans des endroits magnifiques et reculés et malgré cela, travailler dans les secteurs de la mode, de la communication… Je me disais “dans 10 ans, on pourra le faire en France”.
Crédits photo : Amélie Pichard pour Baserange
Calmdecampagne
Calmdecampagne est le compte instagram de la maison, pour l’instant. J’espère que cela deviendra autre chose, j’ai d’autres projets en tête à faire à la campagne. Mais pour ça, j’ai besoin de simplifier au maximum mon quotidien et celui de mes équipes, pour stabiliser la marque et aussi me laisser plus de temps pour les futurs projets et l’arrivée du bébé. Je n’ai pas fait un bébé à 39 ans pour finalement ne pas en profiter et avoir la tête dans le guidon. Dans tous les cas, je sais que je resterai quand même connectée à la marque. C’est moi qui gère le compte instagram et toute l’entreprise, je ne vais pas tout abandonner. Je n’ai juste plus envie que ce soit une source de stress comme ça l’a été pendant 10 ans.
La FIV
J’ai mis autant de temps à trouver une maison qu’à faire un enfant, 5 ans. J’avais arrêté la pilule depuis très longtemps, on se disait “on laisse le destin jouer”. Il n’y avait pas du tout de pression. Ça a commencé à devenir un sujet quand j’avais cette blague qui revenait souvent : je voulais un bébé taureau. Peut être parce que je suis moi-même taureau et j’ai toujours bien aimé les taureaux, je me disais qu’ils étaient peut être plus calmes ! En septembre, j’espérais ne pas avoir mes règles pour avoir ce bébé taureau. On pensait à la conception, on se disait que ça pouvait être un bébé conçu dans un van, conçu sur une plage… Il y a toujours ce fantasme qui devient un deuil à faire lorsqu’on fait une FIV ensuite, d’où est-ce qu’on a conçu notre bébé. Tous les ans, septembre était toujours un peu une déception. Au bout de quelques années, quand il commençait à y avoir des larmes, je me suis dit “il y a trop de larmes, même presque à chaque fois que j’ai mes règles”. On s’est dit qu’il fallait peut-être aller voir quelqu’un. J’avais déjà 36 ans à ce moment-là.
On est allés faire des tests de fertilité qui ont pris un peu de temps. J’ai tout de suite été assez mal accueillie. Je n’ai pas du tout aimé la manière dont on m’a reçu en règle générale. C’était beaucoup de pression. On me disait “vous n’avez pas l’air d’avoir beaucoup de follicules donc on ne connaîtra pas la qualité des œufs tant qu’on n’aura pas ponctionné” “il y en a maintenant mais peut être que dans 6 mois il n’y en aura plus”. On ne me ménageait pas. J’ai commencé à avoir vraiment peur. On me faisait des réflexions concernant mon âge, que je n’étais plus toute jeune. Le pire, c’est que la majorité de ces commentaires venait de femmes.
On est sortis de la maternité en se disant qu’on ne ferait pas la FIV. On n’était pas prêts. C’était tellement violent, tellement stressant et on est plutôt du genre médecine douce habituellement. De plus, je me disais que si de plus en plus de couples n’arrivaient pas à avoir d’enfant c’était sûrement pour une raison, pour la planète. Je me disais, pourquoi forcer les choses ?
On a commencé à voir des naturopathes, hypnotiseurs, énergéticiens, acupuncteurs… Ça a pris du temps mais toutes ces choses ont été essentielles. J’ai appris à prendre soin de moi. On est dans une société où on fait nos études, on travaille et c’est tout. On ne pense jamais juste à soi avant même de devenir parent. Tout ce parcours a été essentiel et je ne vois pas comment on pourrait faire une FIV sans passer par tout ce processus d’accompagnement. J’avais vraiment l’impression qu’il y avait des choses que je devais débloquer. Tout ce parcours parallèle a mis deux ans. Pendant ce temps, j’avais toujours cette épée de Damoclès car on m’avait dit que dans 6 mois je n’aurai plus de follicules.
Un jour, une de mes acupunctrices m’a demandé de lui envoyer les résultats de l’époque sur le nombre de follicules que j’avais. Elle m’a répondu que c’était très peu. Le fait que ce soit elle qui me le dise m’a fait une sorte de déclic. Je me suis dit qu’il fallait que j’arrête d’être butée, que je m’ouvre un peu. Je faisais déjà beaucoup de choses en parallèle et c’était sûrement une bonne chose d’essayer une FIV. Au moins, je ne pouvais pas regretter de ne pas l’avoir fait. Je me souviens avoir envoyé un texto à mon compagnon en disant "allez, on fait la FIV”.
On a commencé les premiers rendez-vous en mars 2021. La ponction a eu lieu en juin et le transfert en septembre. Suite aux hormones, ça ne se passait pas bien sur un ovaire, ils n’avaient rien pu ponctionner. Je l’ai appris de manière assez brutale, ils me l’ont dit juste avant d’arriver au bloc. En fait, on m’avait fortement découragée de faire une anesthésie générale car ça ne les arrangeait pas pour la ponction, ça prenait trop de temps. Quand j’ai malgré tout décidé de faire cette anesthésie générale, on m’a demandé “mais pourquoi ? Puisque de toute façon ça va aller vite, il n’y a qu’un ovaire à ponctionner”. Voilà comment je l’ai appris. On m’a ensuite dit que de toute façon, ce qui allait me faire le plus de mal était le cathéter qu’ils allaient me mettre pour m’anesthésier. À ce moment-là, j’avais juste envie de me faire toute petite et de partir vite. J’ai finalement accepté l’anesthésie locale.
Ils n’ont récupéré que 4 follicules dans lesquels il n’y avait que 3 ovules. Ce n’était vraiment pas beaucoup. En parallèle de ça, j’avais décidé de me concentrer sur la naturopathie pour l’alimentation, l’ostéopathie interne pour manipuler à l’intérieur et me replacer l’utérus. Cette séance m’a rappelé une sensation que j’avais eue quand j’étais toute petite quand un garçon m’avait tapé dans l’entrejambe. Elle pense que mon utérus était peut-être coincé depuis ce jour-là. En plus de tout ça, je voyais un acupuncteur très régulièrement. Heureusement qu’ils étaient là car je pouvais leur parler de mes doutes, de mes peines, chose impossible à la maternité.
On était content d’avoir ces 3 ovules, mais la femme de la maternité nous a fait comprendre que ce n’était pas un super résultat. On savait à ce moment-là que les spermatozoïdes et les ovules étaient en train de se rencontrer sans savoir ce que ça allait donner. On a attendu quelques jours et on nous a appelés pour nous annoncer que les 3 ovules avaient fécondé.
La veille de la ponction, ils ont cru que j’avais des polypes. J’avais envie de leur dire “ça fait deux mois que vous êtes dans mon utérus vous n’auriez pas pu voir ça avant ?”.
Il était donc décidé que si un embryon se formait, ils le congèleraient et ils iraient voir en juillet si j’avais des polypes. Finalement, je n’avais pas de polypes et sur les 3 embryons, un seul était viable à être congelé.
Je n’avais donc qu’une chance, sinon, je devais recommencer la FIV de zéro. Comme beaucoup de femmes. Tout ça prend tellement de temps, je me disais que j’avais la chance d’être ma propre patronne. Entre les prises de sang le matin et les checks pour voir les follicules… C’est dingue. L’autre chance que j’avais c’est que j’habitais à Paris, à 15 minutes en métro. Il y a beaucoup de femmes qui doivent faire plusieurs heures de voiture tous les deux jours pour leur FIV.
Finalement, en septembre, le transfert a tenu. J’ai eu énormément de chance.
Le début de la grossesse
J’avais l’impression qu’on avait transféré un diamant dans mon ventre. Je n’osais plus éternuer, rigoler, je n’osais plus faire de sport… Je n’osais rien faire ! Je me disais “il faut qu’il tienne, il faut qu’il reste”. Je lisais aussi plein de choses sur internet, c’était déconseillé de rester allongée donc je devais quand même faire ma vie, m’occuper.
Quand on a reçu les résultats 12 jours après la prise de sang, on n'a même pas su les lire. C’est là où on s’est dit que c’était fou que les médecins ne t’appellent pas pour t’expliquer, t’annoncer. Pendant 10 jours, j’ai dû faire des prises de sang tous les jours, sans personne pour me dire que c’était bon. On a perdu la joie de faire pipi sur un test et de voir qu’on attend un bébé, de l’annoncer à son chéri, à sa famille. Tous mes proches savaient que je faisais une FIV donc l’effet de surprise n’était plus là.
À la deuxième prise de sang, j’ai appelé mon compagnon pour lui annoncer car il était au travail. Moi, j’étais au musée avec des collègues. On a toutes pleuré dans le musée. C’était bien aussi mais ce n’était pas ce que j’avais imaginé.
Je pense que ça fait partie aussi de la vie, les femmes ont tendance à vouloir maîtriser plein de choses. C’est un parcours qui t’apprend à lâcher l’affaire, lâcher prise. Au bout d’un moment, tu commences à enlever toutes les petites choses que tu avais construites dans ta tête peut-être depuis toujours. Même si mon souhait de devenir mère était assez récent, c’est des choses qu’on incarne dès le plus jeune âge.
Les premières semaines étaient stressantes, on ne respirait plus. Les trois premiers mois aussi car on ne fait que de te parler de ces histoires de fausse couche… Tu n’es pas sereine. Je commence tout juste à être sereine parce que ça y est, il est bien formé, il commence à prendre du poids, il va bientôt sortir…Je le sens en moi.
L’après
Je prévois de continuer à voir ma naturopathe, mon ostéopathe jusqu’à l’accouchement et même après. J’emmènerai même mon bébé chez l’ostéopathe, je pense que c’est important de le cajoler. Généralement, je fais toutes ces choses là en suivant les conseils des gens et mes besoins. Par exemple, cela fait quelque temps que je n’ai pas vu mon acupuncteur parce que je me sens bien, je n’en ressens pas forcément le besoin. En ce qui concerne la sage-femme ce sera plutôt traditionnel, notamment parce que je serai à la campagne, en tout cas pour les premiers mois.
Conseils aux femmes dans un parcours de FIV
Après ma publication sur les réseaux sociaux, beaucoup de femmes m’ont dit que c’était difficile pour elles. Elles me demandaient comment j’avais fait pour que ça fonctionne pour moi. En fait, je ne sais pas.
En parcours de FIV, on ne t’explique jamais pourquoi ça ne marche pas mais on t’explique encore moins pourquoi ça a marché. Ce que je peux conseiller c’est de penser à soi, pour une fois. De ne pas se mettre la pression. Surtout, même si c’est très dur au début, de ne pas écouter les gens qui te disent “il faut partir en vacances, il faut que tu penses à autre chose”. En fait, il n’y a aucun miracle. Il faut commencer à rentrer dans son fors intérieur et se demander qu’est-ce qui est bon et pas bon pour soi.
Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui doivent parfois sortir de nos vies pour nous libérer et pouvoir passer à autre chose, quand il n’y a pas de grande pathologie bien-sûr. Mais il y a même tellement de cas de femmes qui avaient de grandes pathologies et qui ont réussi à tomber enceinte. Je pense qu’il faut lâcher prise. On ne peut rien forcer, même avec les meilleures FIV et les meilleurs médecins. Si ça ne prend pas, ça ne prend pas. J’ai vraiment le sentiment qu’il faut réussir à juste se dire « peut-être que ça marchera, peut-être que ça ne marchera pas, mais au moins tout ce que j’ai fait ça m’aura servi à moi». Je pense que c’est le moment où il faut être égoïste en fait. Il faut soigner le corps et l’esprit, on ne peut pas faire l’un sans l’autre. On dit que l’accouchement c’est aussi un moment où on est face à toutes ses peurs et ses blocages, c’est pour ça que c’est important de commencer de s’en débarrasser avant, si possible.