L'après par Camille

*Attention, j'aborde dans ce texte le décès de ma fille Iris, et le sujet du deuil périnatal.
Soyez sûr.e d'être dans les meilleures conditions pour le lire*

Le 31 août 2022, j'ai accouché à terme d'une petite fille, Iris, qui est décédée quelques heures plus tard. 

Durant mes neuf mois de grossesse j'ai eu le temps d'apprivoiser mon nouveau statut, celui de future maman. Je me suis projetée dans un avenir et une identité qui m'a finalement été retirée à la dernière minute. On me répète pourtant sans cesse comme pour m'en persuader, que je suis mère. Parce-que j'ai porté et chéri cet enfant qui est le mien. Oui je suis Maman d'Iris, mais je suis aussi Camille, la femme de 36 ans rentrée chez elle sans enfant.  

Depuis la perte de mon bébé j'accumule les notes, les brouillons de mails, des brides de mots qui correspondent à un moment, à un sentiment. Tout y est très décousu, comme un patchwork d'émotions. Alors quand Kenza m'a proposé avec beaucoup de bienveillance de partager mon histoire, j'ai pensé que c'était le moyen parfait de partager cette maternité pas comme les autres en compilant toutes ces pensées. J'y adresse mon deuil, j'y rassemble mes ressentis, en essayant d'être la plus juste possible.

Je m'appelle Camille Arot Thuillier, je suis fleuriste. L'histoire de mon accouchement, mon mari Pharrell Arot – avec qui je partage ma vie depuis près de 15 ans –  l'a déjà raconté quelques semaines après notre sortie de la maternité dans sa newsletter. Moi, je veux vous parler de l'après, de la vie sans Iris, de mon post-partum et surtout, de ma maternité.

 

 

 L'APRÈS

Cet après, on n’aurait jamais pu l'anticiper. On n’imagine jamais repartir de la maternité à deux, plus vides et plus tristes que jamais. Surtout après 9 mois de grossesse parfaite. Passé le choc, il y a la réalité qui prend à la gorge, et on comprend très vite que tout va être une épreuve : la sortie de la maternité, l’au revoir à Iris, l'administratif et le retour au monde réel. 

Avec Pharrell, on est très vite partis dans le sud, juste tous les deux, pour se reposer et prendre conscience, loin de notre vie, loin de la vague. Comme un extra d’été avant d’affronter la tristesse de l’hiver. Ce voyage a été d’une beauté et d’une simplicité inouïe, comme un début d'initiation pour reprendre goût à la vie. Et finalement je crois que j’ai compris très vite que ça irait, parce que tant que j’ai Pharrell à mes côtés tout ira toujours. 

Depuis 9 mois, ensemble, on ressent le besoin de vivre comme une urgence, de s'évader, de voir le beau partout. On part en voyage sur des coups de tête, on se lance dans de nouveaux projets professionnels, on raye des choses sur une liste imaginaire, comme pour essayer de trouver les bons côtés à notre sursis de liberté. 

 

 

DU DEUIL

Le plus difficile depuis la mort d’Iris, c’est le manque, ce manque à en crever de l’avoir perdue, de ne l’avoir jamais vraiment connue. J’ai lu que perdre son enfant c’est perdre son futur, et je suis complètement d’accord avec ça. Toute cette vie imaginée à trois n’existera jamais. Les premières semaines je me suis souvent levée en imaginant que ce n’était qu’un mauvais rêve, avant que la réalité revienne me frapper de plein fouet. 

Depuis 9 mois, ma vie consiste à apprendre à survivre, à reprendre goût aux choses, à tester sans cesse pour savoir si je suis capable. Sortir faire ses courses, croiser des gens dans la rue, retourner à la pharmacie, c'est d'ailleurs ces petits actes de la vie quotidienne qui s'avèrent les plus intimidants et ardus, ceux qui me ramènent à ma condition. Mais un pas après l'autre, je tâtonne, je réapprends tout.

Pendant longtemps je n'ai pas pu écouter de musique, qui me donnait trop d'émotions. Alors je me suis mise à écouter des podcasts en voiture, juste pour ne pas être submergée au feu rouge. C'est ça le deuil, c'est devoir tout calculer pour ne pas se faire inonder. 

Les heures passent, les jours passent, les mois aussi, et la vie reprend pour les autres. Mais pas pour moi. Et avec le temps qui passe vient le moment où les gens oublient, passent à autre chose. Alors il faut retrouver sa légitimité, se justifier à nouveau, trouver des excuses à sa tristesse. 

Il y'a aussi le "pourquoi", ce "pourquoi" que tout le monde se pose, nous pose. La réponse, nous ne l'avons pas et nous ne l'aurons jamais. Rien ne nous fera jamais revenir Iris, alors nous avons fait le choix de ne pas perdre d'énergie à trouver un coupable ou une explication. 

 

Avec Pha depuis 14 ans on se protège, on s'aime et on rit, on vit tout intensément, et c'est ce qui nous sauve et nous sauvera toujours. On est unis dans cette tristesse infinie, et ça n'a fait qu'amplifier nos sentiments. Plus fort on vit la tristesse, plus fort on vivra le bonheur. On a fait le choix ensemble d'être heureux malgré tout, de ne pas se laisser noircir par le chagrin. Je le sais, je le sens, la beauté de la vie est en train de reprendre le dessus, même si c'est un parcours difficile et sinueux. Le retour du printemps, le temps passé avec nos proches, grâce à ces petites choses du quotidien je savoure le chemin parcouru et j'en suis sûre : je serai heureuse à nouveau. 

À DATE

Bien sûr, il existe des jours, des semaines, où le simple fait de vivre est une épreuve. Ça arrive comme un souffle, et ça repart comme c’est arrivé. Chaque fin de mois depuis 9 mois, je me lève triste, sans but. Ça dure quelques jours, parfois seulement le 31, puis ma joie de vivre réapparaît. C’est dur à gérer, mais cette tristesse à jour fixe je savais qu’elle existerait. 

Chaque mois c’est un peu moins long, un peu moins douloureux, et je crois que c’est ça faire son deuil. Le manque d’Iris ne disparaîtra jamais, mais on apprend à vivre avec ce trou énorme dans le cœur. Pour moi faire le deuil de mon bébé ce n’est pas oublier, c’est réussir à vivre avec et à ne plus être submergée dès que je pense à elle ou que je parle d’elle.  


LA LÉGITIMITÉ D'ÊTRE MÈRE

Alors, même si je ne rentre pas dans le club traditionnel des mamans, il m'est impossible de revenir à mon statut précédent. Je ne rentre dans aucune case. Mais trouver une nouvelle case, ce n'est pas mon but. Ma mission, ma voix, c'est de parler de ma fille, de toutes ces femmes qui vivent une fausse couche, une IVG, une IMG, une mort in utero, où celles qui comme moi vivent la naissance puis la mort de leur bébé. Notre voix compte autant que les autres. Si comme moi vous ne vous sentez pas légitimes c'est normal. Mais si le temps de quelques jours, quelques semaines, quelques mois vous vous êtes senties mères alors vous l'êtes. 

La jalousie c’est un sentiment très moche, mais qui est réel, et qui refait surface très souvent : les petites Iris vivantes, les parents avec la même poussette que nous dans la rue. Des détails qui me plongent instantanément dans une profonde tristesse. Le summum de la jalousie c'est celui des annonces de grossesse ou pire, des naissances. Les bébés tout neufs c'est ma pire angoisse, j'ai le cœur qui se serre devant ces femmes qui ont le bonheur d'avoir leur enfant vivant, et je suis terrorisée par mon algorithme Instagram qui me nargue chaque jour. Ça ne me ressemble pas, mais c'est comme ça. Ça ne me ressemble pas, c'est comme ça, ça passera, mais à chaque fois la même question revient : pourquoi moi ?


MON CORPS

Physiquement je me sens si vide. Comme n’importe quelle femme après un accouchement, mais je n’ai pas mon bébé pour combler ce vide physique. En l’espace de quelques heures ce 31 août 2022, on m’a retiré une partie de moi et on m’a laissé le cœur en mille morceaux. 

Iris s'est retrouvée en grande détresse cardiaque lors de l'accouchement, et j'ai subi une césarienne d'urgence. Ma cicatrice c’est mon trophée, comme une trace indélébile de son passage dans nos vies. Elle me rappelle chaque jour la violence et la beauté de cette épreuve. J’ai fait tout de suite beaucoup de photos de moi, pour ne pas oublier, pour réapprendre à m’aimer. Je me suis cachée les premiers temps, pour ne jamais qu’on me prenne pour une femme enceinte, moi qui avait tant aimé l’être.

J’ai tous les désagréments du post-partum, sans en avoir le bonheur : je perds mes cheveux, je perds la boule aussi, j’apprivoise un nouveau corps, j’ai eu des montées de lait malgré les médicaments.  Alors pour gérer tout ça, je me suis entourée de professionnelles qui m’ont fait prendre conscience de la puissance de mon corps et de mon esprit, et grâce à elles j’ai repris confiance en moi. Ce sont mes bonnes fées, cette armée de femmes incroyables qu’on a mis sur mon chemin pile quand j’en avais besoin. EMDR, sophrologie, rééducation kiné, Pilates, sport, massages, réflexologie, ostéopathie ; j’ai appris à prendre soin de moi pour me reconstruire. 

Ce corps si différent, j’ai voulu l’aimer, l’apprivoiser et le laisser tranquille. J’ai décidé de le chérir pour tout ce qu’il a fait, il est mon allié. Et finalement je crois pouvoir dire aujourd’hui que j’aime encore plus mon corps et je suis plus forte que jamais.


FUTUR

C’est encore un petit peu trop frais pour parler du futur, mais je reprends doucement plaisir à vivre. J’ai repris le travail 3 mois après la naissance d’Iris et je ne soupçonnais pas le pouvoir des fleurs sur ma guérison. Les fleurs, c’est mon métier, ma passion. Elles me procurent tellement de joie et d’apaisement, et c’est toujours entourée de fleurs que je suis la plus heureuse. Avec l’arrivée du printemps et l’éclosion des fleurs j’ai l’impression de revivre, et je me surprends parfois à pleurer devant leur beauté. 

Iris n'est pas née par hasard, elle est née pour nous rappeler que l'amour nous sauvera toujours. Notre amour magique, celui, lui aussi infini, que nous portent nos proches. J’ai envie de raconter notre histoire au monde entier, pour que personne n’oublie jamais notre fille. J’ai besoin de la faire vivre, qu’elle ne soit jamais une honte ou un secret.  Aimons-nous, chérissons nos enfants, et rappelons-nous toute la vie ceux qui sont partis trop tôt. 

Même si la route est encore longue pour Pharrell et moi, on ne s’est jamais autant aimé et je pense qu'on n’a jamais eu autant d’amour à offrir.

  

  

 

 

 

 

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