L'hyperémèse gravidique par Naila

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Je m’appelle Naila, j’ai 33 ans, et je suis la maman d’un petit Naël qui a bientôt 4 mois. J’ai eu une grossesse très compliquée, à laquelle je ne m’attendais pas du tout, et qui a été à des années lumières de l’image qu’on a de la grossesse aujourd’hui. J’ai souffert d’une pathologie qui n’est pas très connue, et que moi-même j’ai mis du temps à comprendre : l’hyperémèse gravidique. C’est imprononçable, même moi j’ai encore du mal à le dire. HG pour les intimes. Ce sont des nausées, puis des vomissements, et plein d’autres dérèglements que ton corps subit. C’est plutôt violent et cela peut te conduire jusqu’à l’hôpital. J’ai d’ailleurs été hospitalisée.

Quand j’ai appris ma grossesse, c’était une bonne nouvelle, je savais que ma vie allait être chamboulée mais j’avais encore plus de huit mois pour me préparer à ça. C’est un cycle assez long la grossesse finalement. J’ai su très vite que j’étais enceinte. Les premières semaines se sont passées normalement, je n’ai pas vu de différences, jusqu’à un dimanche matin dont je me souviens très bien.

L’hyperémèse gravidique

Je me réveille avec une fatigue extrême, comme si je n’avais pas dormi depuis 4 jours ou que je sortais d’une grosse grippe. Sur le coup je me suis dit : « ça y est, les premiers symptômes de la grossesse arrivent ». J’étais à cinq SA. Un mois quoi, c’est très tôt. Je me suis dit que c’était normal, à ce moment là ça me paraissait plutôt anodin.

Sauf que très rapidement, j’ai commencé à avoir des nausées, qui étaient plutôt le matin, puis toute la journée, puis toute la nuit. C’est allé crescendo, c’était de plus en plus violent. En l’espace de quelques semaines, je ne pouvais plus rien manger. Plus rien du tout. Les nausées ont commencé à accaparer toutes mes journées. L’odorat était très exacerbé. Ça peut paraître anodin comme ça mais c’est très vite une agression. Les bonnes comme les mauvaises odeurs, il n’y a pas de logique. Toutes les tâches du quotidien ont commencé à être très difficiles. Aller dans la cuisine était devenu impossible à cause des odeurs, ça me mettait dans un mal pas possible.

Je n’arrivais plus à dormir surtout. C’est-à-dire que je n’arrivais pas à m’endormir, et lorsque finalement j’y parvenais, j’étais réveillée au bout de deux ou trois heures à cause des nausées, avec une impossibilité de me rendormir. A ce moment-là, j’en parlais à mes copines. Elles aussi avaient eu des nausées et de la fatigue mais elles pouvaient continuer à vivre plus ou moins normalement, à prendre le métro, se déplacer, avoir une vie sociale. Pour moi, c’était inconcevable.

Au début, c’était donc seulement des nausées handicapantes. Comme je ne suis pas du genre à attendre que ça passe, j’ai tout de suite commencé à chercher des solutions. On m’avait dit de prendre du gingembre par exemple. Evidemment ça ne marchait pas. J’ai aussi essayé de manger fractionné, j’ai fait de l’acupuncture, j’ai vu des ostéopathes. J’ai pris le problème à bras le corps. Je ne voulais pas rester comme ça pendant trois mois.

A cette période, c’était le début du deuxième confinement. Moi qui avais toujours eu une vie sociale assez riche, là c’était fini, et c’était la période où on commençait à passer en télétravail au maximum. J’ai vite dit à mon chef que je ne pouvais pas me rendre au bureau dans tous les cas. C’était aussi impossible de voir mes amies. Ma vie sociale a vrillé complètement, rien qu’avec les nausées de toute façon je ne pouvais plus rien faire.

Aucune des solutions que j’essaie de mettre en place ne fonctionnent. J’ai vu mon généraliste et mon gynéco pour leur parler de mes nausées violentes, je leur disais que je ne pouvais pas du tout manger et que c’était aussi ça qui m’inquiétait. On me dit que c’est normal, que toutes les femmes passent par là pendant la grossesse. On me l'a tellement dit ça qu’à force je commençais à me dire que c’était peut-être moi qui avais un problème, que j’étais peut-être un peu chochotte.

J’aurais dû arrêter de travailler car j’étais épuisée à cause du manque de sommeil mais, au tout début, aucun médecin ne voulait me donner un arrêt maladie. Or la fatigue aggrave beaucoup les symptômes. On me disait que c’était normal. Mes copines me disaient que ça allait passer, qu’elles étaient toutes passées par là. Personne ne réalisait vraiment ce que j’étais en train de vivre, et du coup moi non plus.

J’ai perdu cinq kilos en l’espace de quelques semaines, ça va assez vite quand tu ne manges pas. Je me forçais un peu mais bon … J’avais même du mal avec l’eau, je commençais à en être dégoutée. C’est tout le problème de cette maladie : l’hydratation. J’essayais un peu les jus, le coca, l’eau gazeuse, mais je ne buvais clairement pas assez à ce moment là. Et tout ça, c’était avant de commencer à vomir.

Ça arrive à deux mois de grossesse plus ou moins. J’étais déjà au bout de ma vie mais en fait ce n’était rien du tout par rapport à ce qui allait arriver. J’ai commencé à vomir plus ou moins cinq fois par jour. Puis c’est passé à quinze, puis vingt-cinq, et puis cinquante et jusqu’à soixante-dix ou quatre-vingt. En fait, tu vomis tout le temps.

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L'intensification des symptômes

Quand j’ai commencé à vomir trente fois par jour et je ne supportais plus du tout l’eau, j’ai commencé à faire mes premières hospitalisations. Je suis allée à la maternité où je devais accoucher. Je leur ai expliqué la situation et le fait que je ne gardais pas l’eau. Il y a les vomissements, et en plus une sensation de mal être. Pour expliquer ça aux gens, je donne l’exemple de la grosse grippe ou de la grosse gastro, une maladie où tu as quarante de fièvre et que tu penses que tu vas crever. Et bah franchement, ça, c’est dix fois pire que le pic de la gastro ou de la grippe et c’est tous les jours, tout le temps, pendant des mois.

Je disais que mon corps était devenu fou. Tout était insurmontable. Passer de mon lit au canapé, c’était l’effort de la journée. Il me fallait une heure de préparation psychologique pour changer de pièce. Je restais mes journées à fixer le plafond ou le sol pour me concentrer pour ne pas vomir. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Pour moi typiquement, passer un dimanche sur Netflix, je ne le faisais pas, ça me soule. J’ai besoin de sortir, de bouger. Mais là tu t’enfermes dans une espèce de rythme que tu n’as jamais vécu et dans lequel tu ne te reconnais pas. Face à ça, tu as les professionnels de la santé qui te disent que ce n’est rien, que ça va aller. On me disait limite que j’étais entrain d’exagérer.

J’étais suivie dans une grosse maternité très réputée pourtant, de niveau 3. Et même là-bas, c’était difficile. J’ai eu la chance de ne pas être maltraitée, car cela arrive a beaucoup de femmes, mais en revanche on ne m’a pas considérée. C’est pas que ca leur paraissait normal non plus, mais ca ne les perturbait pas plus que ca, j’avais surtout l’impression qu’ils ne me croyaient pas, genre que j’exagérais.

Quand je suis allée aux urgences la première fois, j’étais à vingt-cinq ou trente fois par jour, et j’étais d’abord allée chez ma généraliste chez qui j’ai vomi 3 fois entre la salle d’attente et le rendez-vous. C’est elle qui m’a reparlé du gingembre, ou du fractionné. Mais je n’étais plus au niveau où manger du gingembre pouvait me soulager. Pour moi il me fallait des médicaments. Sauf que tu es enceinte, 90% des médicaments ne sont pas accessibles, ce que je comprends car c’est nocif pour le fœtus. Mais il faut au moins essayer d’aider les gens, de les soulager. Elle m’a alors dit qu’elle ne pouvait rien faire pour moi et que je devais aller à l’hôpital.

Donc c’est comme ça que j’ai commencé à aller à l’hôpital, je restais toute la journée, et on me disait que j’étais déshydratée. On ne me disait toujours pas ce qui m’arrivait. Ils appelaient ça « vomissements du premier trimestre ». Sans me dire ce que c’était. Et vraiment, on me disait toujours que c’était normal. Certaines infirmières me regardaient sans trop de compassion. J’étais perfusée, de jour, avec des vitamines.

Je me rappelle que toute la journée, je continuais de vomir. C’était tout le temps, toutes les demi-heures. Les médecins venaient me voir deux fois par jour, on me donnait des médicaments mais rien ne me soulageait.

Quand l’interne de garde me disait de rentrer chez moi, j’étais à la fois soulagée car je n’avais pas envie de passer la nuit à l’hôpital toute branchée, mais j’étais en même temps très inquiète car je savais que j’allais passer la nuit à vomir. Mais encore une fois, on me disait de ne pas m’inquiéter, que ça allait passer après le premier trimestre. J’y croyais un peu, mais en même temps je pleurais parce que c’était très difficile, un peu le drame.

Je ne mangeais pas, je ne buvais pas, je ne dormais pas, j’étais déshydratée, on ne me considérait pas. C’était le début de grossesse, et au bout d’un moment j’ai un gros sentiment de culpabilité qui s’installe. Je me disais que c’était sûrement moi le problème. Et je n’avais toujours pas de nom à donner à ce qui m’arrivait.

J’ai eu deux jours où ça allait un peu mieux, cinq vomissements au lieu des vingt-cinq. J’ai cru que ça allait mieux. J’avais trouvé la solution de manger de la glace pilée. J’ai commencé à faire des recherches avec mes symptômes, et c’est là que je suis tombée sur ces mots : hyperémèse gravidique.

Je tombe sur un groupe Facebook qui parle de ce que je vis, mais comme j’étais très fatiguée et très malade, je n’étais pas à fond mais je note quand même que certaines femmes disaient que ça durait toute la grossesse pour certaines. Moi je me suis dit que c’était des cas rares, que ça ne pouvait pas être ça pour moi.

Sauf qu’après les deux jours de répit, le truc est revenu comme un tsunami. J’avais le pic hormonal du premier trimestre qui arrivait, tout a été d’une violence… C’est là que j’ai commencé à vomir vraiment cent fois.

J’avais ma bassine à côté de moi H24 car j’avais commencé à faire de l’hypersalivation. Tu te mets à produire trop de salive. Ma bouche se remplissait constamment de salive. Sympa quand tu as déjà constamment très très envie de vomir… Je ne pouvais pas m’exprimer si je ne crachais pas. Et je ne supportais tellement plus les odeurs que je ne pouvais plus dormir dans la chambre.

J’en étais à un niveau où je devais dormir par terre à même le sol, dans le salon. Je ne supportais plus aucune odeur de linge. Toutes les odeurs fortes. Là c’était début décembre, et je vomissais toutes les quinze minutes. C’est à devenir folle, avec les nuits blanches. Tu ne comprends pas.

J’étais déjà allée à l’hôpital deux ou trois fois à ce moment-là. Et c’est ma mère me dit qu’il faut y retourner. Elle me croyait, parce qu’elle était là. C’est vraiment le genre de truc qu’il faut voir pour le croire. Elle l’a vu. Elle disait l’expression « vomir ses entrailles », moi j’ai compris ce que ça voulait dire. Je pleurais, je lui disais qu’à l’hôpital ils s’en foutaient et que je n’avais pas la force d’y aller. Rien que l’idée de devoir prendre l’ascenseur et d’en subir les odeurs me paraissait insurmontable, une torture. Mais pour ma mère, c’était à un niveau où la seule autre option était d’appeler le SAMU.

Heureusement qu’elle m’a dit ça. Car j’étais complètement déshydratée, je ne vomissais que de l’eau car quand tu es malade comme ça, tu ne peux pas manger et évidemment tu n’as pas faim. Tu peux te priver de nourriture pendant plusieurs jours, mais tu ne peux pas ne pas boire. J’avais une soif qui était intarissable. Chaque verre d’eau me faisait vomir, mais j’avais tellement soif que je buvais quand même et cinq minutes après j’allais vomir. Je ne pouvais pas m’empêcher de boire.

A ce niveau, tu ne vomis plus que de l’eau et du sang. J’avais l’œsophage qui était complètement cramé par les vomissements.

L’hospitalisation

J’ai été hospitalisée pendant plusieurs jours, ils m’ont enfin gardé.

J’ai un médecin qui me dit qu’il ne sait pas ce que j’ai, et c’était peut-être le 8 ou le 9ème que je voyais. Il m’a dit « On ne sait pas pourquoi certaines femmes réagissent comme ça, on n’a pas de médicament curatif, on a juste certains médicaments palliatifs, qui marchent parfois, mais pas toujours ». Il y en a d’autres 3 ou 4 seulement, mais ils ne fonctionnaient pas sur moi au niveau des nausées/vomissements, et probablement car comme personne ne m’aidait, je les ai pris beaucoup trop tard…c’est vraiment dommage car s’il y avait une reconnaissance de la maladie, des protocoles, j’aurais pu être diagnostiquée et commencer un vrai traitement dès les premiers symptômes. Me donner des médicaments pour protéger ma gorge par exemple.

Il m’a aussi annoncé que ça allait sûrement être comme ça jusqu’à neuf mois. Le mec était quand même entrain de me dire qu’il n’avait pas de solution, que ça allait être comme ça pendant encore six mois mais bizarrement c’était quand même un soulagement car j’avais enfin quelqu’un qui me disait quoi faire. Il m’a dit qu’on allait m’hospitaliser plusieurs jours, que j’étais très déshydratée et que la priorité, c’était d’arrêter les vomissements.

Pour le bébé en revanche, ça ne représentait pour le moment pas trop de risques apparemment. Ça peut l’être dans des cas beaucoup plus sévères. Au début le bébé est si petit, et puis il prend d’abord ce qui lui faut pour lui. C’est assez bien fichu. En revanche, si tu perds trop de poids tout le long de la grossesse tu risques accouchement préma et un petit bébé.

En tout cas dans ces moments là tu es en mode survie. Tu es tellement mal que tu n’as même pas l’impression d’être enceinte.

J'ai donc été hospitalisée pendant plusieurs jours, je n’ai pas pu boire ni manger mais le but c’était de faire repartir la machine. Pendant ces quatre jours, je ne suis pas sortie du lit, je ne pouvais pas me lever, ni parler, ni aller aux toilettes. J’étais out. Et j’avais juste soif. Je rêvais de me baigner, de boire de l’eau.

La déshydratation c’est grave et ça va très vite. Tu peux être déshydratée en 24h. 48h ça se complique, et 72h ça peut être grave et aller jusqu’au coma. Tu peux aussi avoir des perturbations cardiaques, gastriques et hépatiques assez graves. Heureusement que ma mère a réagi. Une femme qui est isolée et qui n’est pas informée, les conséquences peuvent être dramatiques. Sans parler des répercussions de la dénutrition, des nombreuses carences que tu développes, des problèmes musculaires, des dents massacrées...

J’ai lu des témoignages de femmes qui ont fini en réanimation, en coma. C’est rare parce qu’on est en France, et qu’on a accès aux soins. Au bout d’un moment tu t’écroules, on appelle le SAMU et on t’emmène. Mais dans les pays sous-développés, ça ne doit pas être si rare.

Ce qui est dingue, alors même qu’on est en France, c’est cette lutte qu’il faut entreprendre avec le corps médical, pour être entendue et considérée. Je voulais juste qu’une personne m’explique ce que j’avais et ce qu’il fallait faire. On m’a enfin dit que si je ne gardais pas l’eau pendant 24h, il fallait revenir à l’hôpital, moi je ne pouvais pas savoir ça. Il y a un vrai vide médical sur le sujet, du coup comme on ne sait pas l’expliquer et que vous êtes une femme, on en conclue que c’est dans la tête.

C’est ça qui est assez lunaire et révoltant. Et moi j’ai eu de la chance parce que je n’ai pas été maltraitée. J’ai eu des arrêts maladies, on a été assez compréhensifs malgré tout. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Je suis donc restée quatre jours à l’hôpital, je suis ressortie quand les vomissements se sont calmés. J’étais à trois mois de grossesse.

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Le quotidien

Jusqu’à six mois, je vomissais jusqu’à dix fois en l’espace d’une demie journée quand j’avais de grosses crises. C’est le cours des choses dans mon cas. J'ai très vite arrêté les médicaments car ils ne marchaient pas et j’ai eu des effets secondaires pas très agréables. Un médecin m’a dit d’arrêter car c’était des neuroleptiques. J'ai ensuite été malade, mais pas au point de retourner à l’hôpital. Je vomissais toujours, j’avais la nausée H24 et je faisais toujours de l’hypersalivation. J’avais toujours un problème avec les odeurs aussi, j’avais l’impression que les murs en avaient une par exemple.

Niveau boulot, j’ai été en arrêt total pendant plus de 3 mois. Après la sortie de l’hôpital, c’est là que j’ai vécu la phase psychologique la plus difficile. J’avais passé le cap du premier trimestre et j'ai compris que ça n’allait pas passer, que ça allait être comme ça tout le long. Il me restait encore six mois et il fallait accepter que j’allais passer mes journées à rester concentrée pour ne pas vomir et à souffrir. J’ai perdu toute mon autonomie. Je ne pouvais pas me doucher correctement jusqu’à six mois de grossesse, je ne pouvais pas me faire à manger, ni aller me balader. J’étais dépendante de quelqu’un tous les jours, tout le temps.

La grossesse c’est un choix. Quand tu as choisi d’être enceinte et que tu vis ça, que ça ne correspond pas du tout à ce que tu attendais, psychologiquement tu as l’impression de t’infliger quelque chose. Tu te demandes pourquoi tu as fait ça.

Partager son ressenti

Ce qui est important c'est parler de cette sensation de mal-être qui est là tout le temps. Je me rappelle avoir dit à mes proches que je rêvais juste d’avoir cinq minutes dans la journée où je me sente moi-même. C’était à ce point-là. Tu ne te sens jamais bien, jamais, pas une seule seconde. Et quand ca dure des mois, c’est l’enfer moralement.

Moi, ce qui m’a beaucoup aidé, c’est l’association de lutte contre l’hyperémèse gravidique. J’ai pu échanger avec beaucoup de femmes, et pour certaines c’était bien pire que moi : elles ont été hospitalisées toute leur grossesse. Certaines perdaient leur bébé, d'autres étaient obligées d’avorter car ce n’était pas soutenable. Moi j’étais dans un cadre où je pouvais me permettre de ne pas travailler : j’avais quelqu’un pour m’aider, je n’avais pas encore d’enfant dont je devais m’occuper. Une de ces femmes racontait qu’elle ne pouvait pas s’occuper de son enfant car son odeur lui donnait envie de vomir. C’est très compliqué.

Les maltraitances

Tu découvres que beaucoup sont maltraitées par le système de santé. Des femmes qui vont à l’hôpital et à qui on dit que le problème est d’ordre psychiatrique. On leur a dit que si elles vomissaient, c’était leur bébé qu’elles vomissaient parce qu’en réalité elles ne voulaient pas cet enfant-là. On leur a dit que c’était de leur faute, on les fait passer pour des hystériques. Double peine. C’est horrible. Au lieu de les soigner, on les met à l’isolement, dans le noir, sans portable, sans visite. On est en France en 2021, dans nos hôpitaux. Certaines avortent car elles ne sont pas soutenues.

La maladie t’isole à cause des symptômes, mais aussi car tu as l’impression de ne pas être comprise ou d’être folle. On n’a pas de soutien. Certaines femmes racontaient que même les infirmières se moquaient d’elles, une d’entre elles a été surnommée « la vomisseuse » à l’hôpital. Elles ont dû faire semblant de manger et cacher la nourriture dans leur sac. D'autres ravalaient leur vomi. Des trucs lunaires.

Une fois que tu sais ce que tu as, tu peux trouver des médecins qui connaissent un peu la maladie et qui peuvent t’aider. Cette association a une liste de médecins qui s’intéressent et qui essaient de comprendre cette maladie.

L’amélioration des symptômes

J’ai commencé à voir un mieux à sept mois et demi de grossesse. Je n’étais plus malade H24. J’ai commencé à manger sans savoir ma bassine à côté de moi. Avant ça, elle était collée à moi, tout le temps. Il y a un groupe Facebook qui s’appelle « Neuf mois avec ma bassine », parce qu’en fait, c’est ça. Tu peux être malade tout le temps, à n’importe quel moment.

Ce qui est « bien », c’est que les jours où ça n’allait vraiment pas, j’avais enfin l’espoir de me dire que demain ça irait sûrement mieux. Je m’accrochais à ça. Quand tu es malade tout le temps, pendant des mois, tu as l’impression que tu ne vas jamais aller mieux. Tu perds espoir.

A partir de cette phase-là, ça allait mieux. J’ai pu recommencer à sortir un peu, à m’aérer. Quelques copines ont pu passer me voir. Tu te sens mieux et tu commences à réaliser ce qui s’est passé.

Au début du 9ème mois, j’ai arrêté l’hypersalivation du jour au lendemain. Pour certaines femmes ça dure jusqu’à la fin. Il faut dire que l’hypersalivation est souvent liée à l’hyperémèse gravidique. Je n’ai pas d’explication scientifique. Mon hypothèse, c’est que le corps ne supporte pas ce changement qui est en train de se passer, les fluctuations d’hormones etc. Il n’arrive pas à se régler donc tout part en vrille. Moi je saignais aussi beaucoup du nez et de la bouche. Je ne sais pas pourquoi.

L’hypersalivation, tu ne vas pas en mourir mais c’est très handicapant. Tu ne peux pas parler, tu ne peux pas aller dans un magasin. Tu dois être avec ta bassine H24. Encore une fois je pense que la baisse des hormones à ce moment là de la grossesse a quelque chose à avoir là-dedans.

Certaines femmes n’aiment pas le dernier mois de grossesse, mais moi, c’était le moment où je me suis sentie bien. Au début je me suis dit que j’allais faire plein de choses, mais finalement, quand tu as un gros ventre tu ne peux pas faire grand-chose non plus. Mais j’étais bien, et ça a duré dix jours.

La grossesse et la naissance

Quand le bébé est arrivé, je me sentais comme une femme enceinte de neuf mois classique. Je n’aime pas le terme normal donc j’utiliserai le mot classique. Mes symptômes s'étaient arrêtés avant que j’accouche. Pour d’autres femmes c’est plus compliqué. Au moment d’accoucher, elles ont encore des vomissements et ce n’est seulement que lorsque le bébé naît et qu’on retire le placenta que les choses s’améliorent très nettement. Quelques heures après, elles peuvent remanger et surtout elles redécouvrent le plaisir de boire un verre d’eau. Elles arrêtent aussi de saliver tout de suite.

Finalement, je n’ai eu que dix jours pour me préparer à la naissance. Psychologiquement c’est compliqué parce que tu n’es pas prête, tu te sens mieux donc tu veux que la grossesse dure plus longtemps alors que juste avant tu n’avais qu’une envie : qu'elle s’arrête.

Pendant neuf mois, pour moi, il n’a pas s’agit de me préparer à l’accouchement ou à l’arrivée de l’enfant, ni de profiter de ma grossesse. Pour moi tout tournait autour du fait de ne plus être malade.

Cette pathologie est très difficile pour soi, mais aussi pour les proches. Ils ne savent pas ce que tu as, et eux le voient. Ils ne peuvent rien faire car il n’y a pas de solution, ni de médicaments. Il faut juste attendre que ça passe. Je me dis souvent que j’ai eu de la chance dans mon malheur parce que j’ai eu de l’aide, ma mère a été très présente, mon copain également, mais lui ne pouvait pas toujours être là parce qu’il travaillait principalement en province et j’avais vraiment besoin d’aide tout le temps. Et encore une fois, je n’ai pas subi de maltraitance. Ma famille a été très compréhensive.

J’ai également eu un accouchement difficile. Il y a donc eu une accumulation qui a également eu un impact sur le post-partum, qui est déjà une période très compliquée. Je me sens un peu traumatisée effectivement. La semaine dernière par exemple, j’ai été un peu malade, j’ai eu des nausées et ça m’a replongée dans la maladie de manière très violente. J’étais paniquée, je ne me sentais vraiment pas bien. J’avais l’impression de revivre cette période.

Je pense que j’ai même maintenant une intolérance aux hormones naturelles du corps, comme la progestérone, parce que j’ai remarqué que la nausée vient typiquement pendant l’ovulation. J’en ai parlé avec des personnes de l’association, et plusieurs m’ont dit que pendant six mois voire un an après la grossesse, tu gardes encore quelque chose de la maladie. J’ai toujours parfois un peu d’hypersalivation, des sensibilités aux odeurs. Peut-être que cette fois ci c’est psychologique, je n’ai pas d’explication scientifique. Je pense que mon corps a enregistré quelque chose, qu’il s’en souvient.

 

Les conseils

Aux femmes qui traversent cela, je leur recommanderais d’abord de prendre contact avec l’association qui s’occupe de faire reconnaître cette pathologie : l’association de la lutte contre l’hyperémèse gravidique. Il y a un site internet et un groupe privé sur Facebook, et elles ont un réseau dans toute la France de patriciens et de gens qui sont renseignés sur la maladie. Je leur conseille de réagir vite, et de s’entourer dès que possible aux premiers signes.

Comme ça arrive au premier trimestre, c'est très violent et tu ne peux pas en parler car personne ne sait que tu es enceinte. Personne ne comprend ce qui est en train de t’arriver.

Il peut y avoir une gradation, de cas très légers à d’autres très forts, mais qui ont tout le même un impact sur le quotidien. On a tendance à minimiser.

L’exemple que je donne aux gens aujourd’hui, c’est celui d’une interne de garde qui est venue me voir pour me demander si j’allais mieux. Je n’arrivais à peine à parler, j’avais un niveau de nausée insoutenable, et elle me regardait en souriant en me disant que c’était normal, c’est la grossesse et que ce n’est pas une maladie. A ce moment-là je n'en pouvais plus, je me suis mise à pleurer. Pour moi tu ne peux pas dire ça, « c’est normal », à quelqu’un qui vomit 50 fois par jour.

C’est comme l’endométriose par exemple. Pendant des décennies, on nous a dit qu’avoir des douleurs de règles c’était normal alors que certaines femmes s’évanouissent de douleur. On leur disait aussi que c’était normal, ou que c’était psychiatrique.

Je pense qu’on ne soigne toujours pas les femmes comme on soigne les hommes. On a tendance à considérer que les douleurs chez les femmes sont plus souvent d’ordre psychologique et psychiatrique. C’est dramatique parce qu’on ignore certaines maladies et certaines souffrances. Alors qu’au contraire, chez les hommes, on a toujours le réflexe de considérer leur douleur et de donner un médicament pour les soulager. On les prend plus au sérieux. Je pense qu’aujourd’hui on soigne trop les femmes sous les prismes du genre et de la psychiatrie.

Pour moi, c’est la double peine. Tu es malade et on te dit que tu en es responsable. J’ai tant de témoignages de femmes en détresse à force de ne pas être soutenues, écoutées, et à force d’être isolées aussi. Tu deviens folle.

Il faut absolument qu’on reconnaisse la maladie et qu’on essaie d’aider ces femmes. L’une de ces femmes, à quatre ou cinq mois de grossesse, pesait 35 kilos. Certaines femmes ne peuvent pas manger pendant neuf mois et sont nourries par sonde, à l’hôpital. Je trouve ces femmes extrêmement courageuses, surtout que certaines refont un deuxième enfant ensuite.

Ce qu’il faut savoir c’est que si tu l’as eu une fois, tu l’as à priori à chaque grossesse. Donc se pose la question du deuxième enfant, d’une future grossesse. Moi, je me suis toujours imaginée avoir plusieurs enfants, au moins deux. Mais là je ne me vois pas repasser par ça. Je ne me vois pas remettre neuf mois de ma vie en pause, ne pas m’occuper de mon fils non plus.

Alors effectivement, tu sais ce que c’est et tu peux mettre des choses en place. Mais ça n’enlève rien à la difficulté de ce que tu dois traverser.

J’ai lu une seule étude qui a été faite à grande échelle, assez sérieuse, et qui vient des Etats-Unis. Elle a tendance à montrer qu’en fait ce sont deux gènes qui seraient responsables de l’HG et que les femmes auraient des prédisposition génétiques à en souffrir.

La chose que j’ai découverte, c’est qu’en fait, j’ai beaucoup de cas dans ma famille, à la fois maternelle et paternelle. Je n’en avais pourtant jamais entendu parler. Probablement parce qu’elles aussi devaient se dire que c’était « normal » d’être dans cet état…

Quand ma mère a commencé à parler de ma grossesse à ma famille, c’est là qu’on a commencé à lui raconter tout cela aussi. En ce qui me concerne, le volet génétique se confirme.

Le mot de la fin

C’est beaucoup de bonheur d’avoir son enfant, et les gens ont tendance à me dire que je vais oublier ce qui est arrivé. Mais je sais que je n’oublierai jamais, et je ne veux pas d’ailleurs. Je sais que ce n’est pas en oubliant qu’on arrive à s’en remettre. Cette souffrance, le désespoir qui m’ont traversé pendant neuf mois, la solitude, l’isolement.

Je n’oublierai pas non plus toute l’aide que j’ai pu recevoir de mes proches.

Et je n’oublierai pas tous ces témoignages que j’ai eus, ces histoires de détresse de femmes qui en arrivent à perdre leur enfant, qui sont traumatisées, qui font des dépressions. Dépressions qui ne sont pas une cause mais bien une conséquence de ce qui leur arrive et de la façon dont on les traite. Je n’oublierai jamais.

Si vous avez une amie qui ne va pas bien, qui vous parle de tout ça, ne lui dites jamais que c’est normal. Il faut agir vite car laisser s’installer les symptômes peut les rendre plus difficiles à contrôler. Il faut écouter, demander des explications, essayer de comprendre plus. Il faut aider à trouver les bons praticiens, les bonnes personnes et les associations qui essaient d’aider, et se battre pour ne jamais laisser quiconque sous-estimer vos souffrances et vos difficultés.