1h37 avec Louise Damas
1h37 avec Louise Damas
Montreuil, aux beaux jours. Pour rejoindre la maison de Louise, il faut grimper, ouvrir une porte en fer et se laisser effleurer par les hautes herbes. Pour cette première rencontre, nous avons passé 1h37 avec une créatrice inspirante. On aurait pu rester tout le weekend. La jeune femme a imaginé sa marque éponyme de bijoux faits à la main, à Paris. Et l'on comprend que pour l’entrepreneuse, maman de Madeleine et Lison, tout est précieux. À commencer par son rôle de mère. Avec elle, on a fait le tour de son monde, et de la question.
On s'installe dans un salon qui n’a jamais aussi bien porté le nom de “pièce à vivre”. À l’arrière, on devine des coussins au sol et un coin lecture installé pour ses enfants. “Avant d’être mère, j’avais déjà une approche féministe très forte mais depuis que j’ai deux filles, le sujet est devenu bouleversant.”
De la douceur de sa voix émanent des convictions qui grandissent à mesure qu’elle transmet et qu’elle apprend : “J’écoute beaucoup de podcasts, je lis énormément sur le sujet. Désormais, je suis davantage triste et énervée face à ces injustices. Je parle déjà à mes filles de leurs forces, de l’égalité homme-femme…et puis cela passe aussi beaucoup par les actions de leur père : l'exemple plus fort que la parole.”
Au fil de la discussion, je comprends à quel point les mots ont un sens et une importance pour l’ancienne étudiante en Lettres Modernes, dans l’espace public tout comme dans la sphère privée. “Pour moi, c’est très important de nommer les parties génitales dans des termes justes, par exemple. Le féminisme et l'apprentissage (donc le respect) de l’intimité commencent là. Je dis vulve et pénis en parlant à mes filles, sans tabou et sans utiliser de petits noms.”
Le souci du détail et le féminisme au quotidien infiltrent la vie de Louise avec naturel, même dans son couple : “J’ai récemment proposé à Mathieu de m’épouser. Je lui en parlais parfois sur le ton de la blague, sachant qu’il n’était pas partant. À la énième plaisanterie, il a dit oui ! Je ne m’y attendais pas. On se marie cet été. Pour la petite histoire, le choix du premier nom de famille de nos enfants est le résultat d’un pile ou face. Et c’est tombé sur le mien !”
Pour ces deux oiseaux inséparables - “C’est comme cela que Mathieu aime nous appeler” -, devenir parents a-t-il été un séisme, un bouleversement ? “Je n’ai pas l’impression que la maternité ait changé quelque chose en moi. Je n’ai jamais été une femme stressée et devenir mère ne m’a pas rendue plus anxieuse. La parentalité a été une continuité, la suite logique pour nous deux.” Eux en mieux, voilà ce qui semble traduire le sourire et la douceur de Louise quand elle évoque sa famille.
Celle qu’elle a fondée et celle qui l’a élevée : “Quand j’étais petite, nous vivions au-dessus du restaurant de mes parents au cœur du 12ème arrondissement de Paris. Ce restaurant, c’était ma maison. Notre quartier d’Aligre, c’était un village. Je descendais en pyjama dans les cuisines pros, on dînait tous les soirs avec le personnel. La bande-dessinée Tom Tom et Nana, c’était notre vie !”. Apprendre le monde au contact de sphères différentes, avec en toile de fond l’envie de transmettre, d’échanger, de (se)connaître : “Le goût de la communication, la nécessité de dire les choses, cela vient de ma mère et c’est ce qui nourrit mes relations, en particulier avec mes filles. J’aime que mes enfants soient avec nous quand on sort, quand on voit nos amis, qu’elles soient de tous les voyages.”
Au fil des mots, Louise remplit les tasses de thé, on se sent comme à la maison : “Préparer l’eau, infuser les feuilles, sentir la chaleur de la tasse dans les mains, j’adore. Je bois sans arrêt du thé. C’est autant un plaisir de bouche qu’un goût du rituel.”
L'art de l'instinct
Je reprends nos échanges, m’arrête sur les assises moelleuses et les dizaines de livres pour enfants. Le coin lecture pour ses filles est une invitation à retomber en enfance sans avoir à passer le pas de leurs chambres. “J'entrais dans les librairies jeunesse avant même d’avoir des enfants. La lecture du soir, c’est un vrai plaisir. J’ai toujours aimé Claude Ponti, Nadja, Grégoire Solotareff. Récemment, j'ai découvert Anthony Browne et ses albums extrêmement poétiques.” Passer du temps, du vrai, sans écran, sans double fonctions, sans distraction, c’est important non ? “ Quand je rentre le soir, j’ai une heure avec mes filles, lavage de dents compris. J’essaie d’en faire des moments de qualité pour ne pas être dans la frustration. Quand je finis un peu plus tard, Mathieu étire le rituel du soir jusqu'à mon arrivée.”
Faire les choses avec instinct sans en oublier le sens et croire que l’art et la création sont des outils pour capter tous les bons côtés, animent Louise. Sur la table basse du salon, je repère ce livre de photo de Saul Leiter, “J’aime beaucoup ce photographe américain. J’ai le sentiment que les images captées dans les années soixante, sont plus belles. Sans doute parce qu'on s'habillait avec une élégance folle, aussi pour les décors.” Cette sensibilité à l’image, on la perçoit dans les œuvres qui parcourent la maison de Louise. Pour chacune, un élan.
Comme un écho à son histoire d’amour avec Mathieu : un coup de foudre et rapidement, l’envie de faire naître une famille : “Je suis tombée enceinte de Madeleine un an après notre rencontre. On a emménagé ensemble quand j’étais enceinte. On n’a pas eu le temps d’installer une routine de couple. Notre histoire s’est construite en même temps que notre parentalité.” Comment fait-on pour prendre le temps de s’aimer à deux quand on a des enfants en bas âge ? “On a une chance incroyable : un weekend sur deux, ma belle-mère prend les filles pendant 24h. Une soirée et une matinée ensemble, à la maison, c’est précieux.”
En partant, Louise me demande de lui envoyer les références d’un livre pour enfant. Je repars avec l’envie de découvrir la prochaine collection de sa marque éponyme : des perles. Cela tombe bien, vous venez d’en rencontrer une.
Crédits
Mots : Amandine Grosse
Photo : Emma Burlet pour Talm