À nos corps magiques par Josépha

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« Je m’appelle Josépha, j’ai 26 ans, je suis la maman de Paloma qui a 8 mois et j’ai réalisé deux séries documentaires : la première qui s'appelle "Meufs", qui traite de ce qu’on vit tous les jours en tant que femme - vaste sujet ! - et la seconde, qui s’appelle "Mères" sur la maternité. Plus récemment, j’ai créé le Loma Club, qui organise des groupes de paroles où se retrouvent des mères qui ont des profils similaires avec des parcours, des problématiques proches : je fais de la mise en relation et j’anime les groupes pour que chacune puisse s’exprimer librement sur le sujet de son choix. Généralement, je fais tous mes projets en me pensant comme la première cliente : je me demande ce que j’aimerais réellement voir et comment j’aimerais que ce soit fait et c’est comme ça que j’ai créé Loma. Je me suis dit que si j’en avais besoin c’est que je n’étais certainement pas la seule…

 


Quand j’ai eu Paloma, j’ai eu la chance d’avoir des femmes autour de moi vers qui me tourner mais certaines n’ont pas cette chance. Je me suis aussi rendu compte que, même si je suis très proche de ma mère ou de ma grand-mère, il y a quand même un écart sur plein de sujets entre les générations donc même si tu es entourée de ta famille il y a certaines choses que tu ne peux pas forcément aborder ou des sujets où tu ne te sens pas à l’aise, des sujets où il y aura vite un jugement. Donc parfois, parler avec des inconnus va permettre de se livrer librement, aussi bien sur ta perte de cheveux que sur tes rapports sexuels … sans avoir peur d’être jugée ! C’est vraiment ça que je voulais faire avec le Loma.

Parce qu’on parle beaucoup de la bienveillance, mais est-ce que tout est vraiment bienveillant autour de nous ? Je ne suis pas sure. On parle beaucoup de sororité mais est-ce qu’il n’y a pas parfois cette compétition entre femmes et ce jugement entre nous ? Donc je voulais vraiment un format d’échange qui ne soit pas filmé, où personne d’autre que les participantes ne peut savoir ce qui est dit. C’est 1h pendant laquelle rien ne sort du groupe de parole. La fréquence de réunion de ces groupes dépend de la disponibilité de chaque femme, nous sommes toutes mamans ou futures mamans donc j’essaie de jongler avec tout cela : les profils, les dispos, et après c’est en fonction des affinités de chacune. Parfois je peux organiser 4 sessions en une journée, parfois je n’en fais pas, ça dépend aussi de moi, de mes autres projets et de ma fille.

"J’aime les femmes, j’aime discuter, j’aime qu’on s’entraide, j’aime faire ça."

Le principe du Loma c’est que les mamans prennent une session quand elles le souhaitent, une pour commencer, après elles font partie du groupe et peuvent se parler entre elles, s’échanger des conseils. Je leur fais aussi des propositions de sessions à thèmes plus tard mais il n’y a aucune obligation de fréquence, ça peut être tous les mois, tous les trois mois... il n’y a pas de règle. J’aime les femmes, j’aime discuter, j’aime qu’on s’entraide, j’aime faire ça. C’est ça le Loma !

 

"Avec l’arrivée de ma fille, tout a changé. Je suis plus courageuse je crois depuis qu'elle est là. Je me dis que j'ai envie qu'elle soit fière de moi"

Avec l’arrivée de ma fille, tout a changé. Je fonctionne à l’instinct et je ne me voyais pas parler à des mères si moi-même je ne l’étais pas. Je ne peux parler que de ce que je connais et même si j’avais envie de parler des mères depuis longtemps je me suis dit que je le ferai quand je le serai moi-même.  Et ça n’a pas loupé : j’avais vraiment besoin d’en parler à ce moment-là. L’arrivée de Paloma me fait sentir plus créative. En fait, ce n’est pas exactement ça, je ne me sens pas plus créative, je suis plus courageuse je crois depuis qu’elle est là parce qu’en fait je me dis que j’ai envie qu’elle soit fière de moi – j’aimerais bien qu’elle soit courageuse, donc à moi de l’être.

En fait c’est elle qui m’apprend tout, c’est un bébé de 8 mois hein, mais quand je vois à quel point elle est tellement sur l’instinct, sur tout ça, c’est fou je me dis que c’est elle qui a raison. Je n’ai plus peur de me tromper avec elle et je me dis que la vie peut s’arrêter demain : on prend vraiment conscience de ça quand on devient mère je trouve, du coup j’ai envie de faire ce qui me plait. D’ailleurs, j’ai aussi suivi des séminaires de doula après avoir eu Paloma, c’était passionnant.

 

Au sujet du corps : déjà j’aimerais préciser que la femme me passionne. Le corps de la femme me passionne, la maternité me passionne. Mais on peut dire que presque chaque femme a un problème avec son corps : mère ou pas mère. Je ne connais aucune femme qui est 100% ok avec son corps. On a tendance à se dire que c’est la société, mais ce serait trop facile de tout mettre sur la société, on se met aussi nous même une pression incroyable, on se compare aux autres, ne serait-ce qu’avec nos mecs ou nos meufs parfois quand on dit « ah je n’aime pas cette partie de moi » alors que l’autre n’a probablement même pas remarqué…  Souvent on a tendance, quand une autre femme nous regarde à se dire « ah là elle doit regarder ma cellulite » alors que l’autre se dit probablement « ah elle a de trop beaux cheveux ! ».

"j’ai détesté mon corps pendant des années et lui il me donne le plus beau des cadeaux"

Avoir Paloma ça m’a aidé à lâcher prise sur mon physique et mon corps - et me dire « ce n’est pas grave si aujourd’hui j’ai un bouton », par exemple, je déteste me maquiller mais je trouve ça génial quand je vois une femme super maquillée et que ça lui va trop bien. Les injonctions sont tellement fortes et vastes par rapport au corps en général. En tout cas j’ai le sentiment de plus m’aimer depuis que je suis mère. Je me dis que c’est dingue ce que j’ai réussi à faire : il y a des femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants, il y a des femmes qui font fausse couche sur fausse-couche, il y a des femmes qui ont des grossesses alors qu’elles ne l’ont pas voulu, il y a des femmes qui font des dénis, moi j’ai eu la chance de vouloir un enfant et de l’avoir. J’ai voulu un enfant : je l’ai eu. Je veux la nourrir : je peux, je l’allaite, c’est magique. Donc j’ai détesté mon corps des années, pendant des années j’ai eu des problèmes avec lui, des années je lui ai fait la misère et en fait lui il ne m’en veut pas, il me donne le plus beau cadeau. Donc c’est OK.

 

"Je crois qu’on devrait toutes avoir quelqu’un dans notre entourage qui nous dise ça, homme ou pas, pour chérir ces marques-là."

D’ailleurs, j’adore les marques que j’ai sur le corps, j’ai des vergetures suite à la grossesse, et un peu plus de cellulite, et en fait je trouve ça trop beau. Et j’ai aussi un homme qui, dès qu’il voit mes vergetures me dit « tu te rends compte c’est dingue, ce sont les signes de Paloma, c’est fou. » Je crois qu’on devrait toutes avoir quelqu’un dans notre entourage qui nous dise ça, homme ou pas, pour chérir ces marques-là. Qui nous rappelle que c’est bien d’avoir ça.

J’ai mis des photos de moi sur Instagram, des photos de mon corps postpartum en maillot de bain : quand j’ai publié ces photos je n’étais pas sereine, j’ai éteint mon téléphone juste après, comme quand t’es ado et que tu envoies une déclaration à un mec et que tu te demandes ce que tu viens de faire ! Il y a des jours où je me vois dans la glace et je me dis « c’est dur » et il y a des fois ou ça l'est moins. Et encore une fois : c’est Paloma qui m’aide, parce que j’ai envie qu’elle grandisse avec l’image d’une mère qui s’aime. C’est un travail de tous les jours. On devrait se dire qu’on est belle. J’essaie de prendre un peu de recul sur tout ça, le corps etc... J’ai 26 ans, je n’ai pas envie d’arriver à 50 ans et me dire que j’ai perdu toutes ces années à me prendre la tête sur mon poids pour rien.  

En ce qui concerne la grossesse, je n’ai pas forcément aimé être enceinte et pourtant ça me manque : je n’ai pas vraiment aimé parce que j’ai été hyper malade. Contrairement à certaines femmes qui ont peur de leur prise de poids, j’ai adoré voir mon corps changer, c’est une expérience que j’ai aimée et j’aimerais la revivre. J’espère pouvoir un jour avoir un autre, ou plusieurs autres enfants. Donc  ça me manque un peu mais je préfère tellement depuis que ma fille est là. Ce qui me manque en fait ce sont les sensations de la sentir bouger, cette impatience de me dire « oh je vais la rencontrer » mais en même temps ça ne me manque pas les insomnies où j’imaginais des trucs horribles… ça en revanche ça n’a pas changé, une fois que le bébé est là on continue à imaginer des trucs horribles ! En tout cas, si je pouvais j’aimerais ralentir un peu le temps, un tout petit peu au moins, ça passe trop vite !

 

Le postpartum, j’ai adoré parce que je m’étais préparée : je l’ai pris comme un moment où j’allais vraiment pouvoir m’occuper de moi et de mon bébé : j’ai briefé mon mec et on a décidé de se faire une bulle tous les trois. Alors oui il y a plein de trucs qui sont chiants : tu portes des couches, tu te sens moche, tu te sens lourde, tu es fatiguée, tu pleures tout le temps… et même si je trouve ça génial que la parole se libère sur le postpartum et ses difficultés, je trouve ça important de dire à des femmes que le postpartum peut aussi être extraordinaire : si tu t’écoutes, si tu te laisses du temps, si tu es douce avec toi-même, laisse tomber le corps, lâche, pense à ton mental, à ton bébé, à ton cocon… à la naissance de Paloma je me suis pris une claque parce qu’on a été séparées : elle a fait une semaine en néonat, celles qui l’ont vécu comprendront, tu te fais une bulle, tu ne sais plus quelle heure il est dehors… j’ai passé des matinées à tenir Paloma endormie dans mes bras, parfois six heures de suite avec l'impression que ça n'a duré qu'une heure. Le temps change totalement donc ça te remet les pendules à l’heure, ça te remet un ordre de priorité.

Quand tu reviens enfin chez toi et qu’on te dit « ton bébé ne va pas sortir pour plein de raisons, pour ne pas être malade » en fait tu écoutes : toutes les visites, tous les potes, toutes les présentations on fera ça plus tard, ce n’est pas important, je ne dois rien à personne, parce que quand t’accouches t’as l’impression que tu dois des choses à toutes les personnes qui veulent rencontrer ton bébé, y a toute la vie pour faire ça en fait. J’avais pas mal de mères autour de moi, j’avais déjà commencé à constituer mon réseau, et je savais vers qui me tourner en cas de besoin. J’ai eu un début d’allaitement très difficile et du coup j’ai choisi mes combats : mon combat c’était de réussir mon allaitement et de créer un lien avec ma fille avant tout.

"Et le fait que ce soit difficile a encore plus renforcé mon vœu d’allaiter."

D’ailleurs, quand j’étais enceinte je me suis dit que j’allaiterais si je pouvais, qu’on verrait plus tard, mais quand j’ai accouché je me suis dit « il n’y a pas moyen ! Je veux allaiter » et ça a été difficile. Et le fait que ce soit difficile ça a encore plus renforcé mon vœu d’allaiter, j’ai réalisé ce que c’était d’allaiter vraiment. Maintenant ça marche, même si je n’allaite que d’un seul sein, je ne savais même pas que c’était possible !

"L’armée pacifique ! Je pense sincèrement que c’est ce que nous sommes."

Les conseils ou les choses que j’aurais aimé qu’on me dise : j’aurais aimé qu’on me dise plusieurs choses en fait. J’aurais aimé qu’on me dise une chose, qui est un peu dure à entendre, c’est que la peur n’empêche pas le danger. En fait n’aie pas peur, parce que de toute façon s’il doit arriver quelque chose il arrivera quelque chose ! En fait, ne te gâche pas du temps et de l’énergie à angoisser, profite, parce qu’il peut t’arriver plein de choses, et même du bien. On imagine toujours le pire mais il y a aussi des choses extraordinaires qui arrivent ! Donc la peur n’empêche pas le danger, le bien n’arrive pas qu’aux autres, il peut t’arriver des trucs géniaux, tu le mérites, ce n’est pas parce que tout va bien en ce moment qu’il va t’arriver une merde demain voilà n’aie pas peur de l’avenir, vis au jour le jour, parce qu’on est tout le temps angoissé sur l’après, toutes, mais quand on est mère ou enceinte c’est encore pire je crois. Et puis sois douce avec toi-même. Ça a l’air facile et bête. Sois douce sur plein de choses. Par exemple, si tu n’as pas envie d’avoir de relations sexuelles, n’aie pas de relations sexuelles, ce n’est pas pour ça que tu vas être une mauvaise meuf pour ton mec ou pour ta meuf, ce n’est pas vrai. Tu te mets la pression. T’as l’impression que tout le monde a une vie sexuelle incroyable après l’accouchement, ça vaut aussi pour la grossesse, mais ce n’est pas vrai.

Pour finir, je dirais d'avoir la force de ne pas rester seule, de s’entourer, de parler : mon allaitement a été en partie sauvé grâce une conseillère en lactation, grâce à une copine qui allaite, grâce à ma grand-mère… l’armée pacifique ! Si j’ai nommé Loma comme ça c’est que je pense sincèrement que c’est ce que nous sommes. »